"La Ceinture" - Ahmed Abodehman
chez Folio (Paru également chez Gallimard 2001)
Ahmed Abodehman est né en 1949 en Arabie Saoudite, dans un petit village des hautes montagnes de l’Assir… il appartient à la tribu des Kahtanis, mais il est remarquable pour tout autre chose. Après avoir fait ses études à Riyad, il choisit de les poursuivre en France, lui qui ne parle pas Français, parce que c’est le pays d’Aragon et de Prévert, qu’il admire tant. Et c’ est en Français qu’il choisira d’écrire son premier roman, La Ceinture, paru chez Gallimard en 2001.
La Ceinture c’est une histoire vraie qui pourrait être un conte poétique, ou philosophique, sur les racines culturelles, l’intégration … Cela se passe dans la ville d’Alkhalaf où les enfants naissent imprégnés de musique et de poésie, où personne ne fait rien sans chanter…
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"Le Minaret" - Aquarelle Martine Réau-Gensollen
" Nous sommes, écrit Ahmed Abodehman, la seule tribu au monde qui descende du ciel. Le ciel fait partie des montagnes. Chez nous la pluie ne tombe pas, elle monte. ""Ma mère m'a raconté qu'à ses origines notre village était une chanson, qu'il était unique comme le soleil et la lune. Les mots auxquels les gens donnent une dimension poétique s'envolent tels des papillons ; certains, plus colorés et plus beaux, le font avec plus de légèreté. Et comme notre village est sûrement le plus proche du ciel, ces mots poétiques y trouvent le meilleur endroit pour se montrer et illuminer la terre. « Nous sommes tous des poèmes, disait ma mère, les arbres, les plantes, les fleurs, les rochers, l'eau... Si tu écoutes bien les choses, tu peux les entendre chanter. »
Voici comment Ahmed Abodehman se présentait, lui-même :
"Je suis Ahmed ben Saad ben Mohammed ben Mouid ben Zafir ben Sultan ben Oad ben Mohammed ben Massaed ben Matar ben Chain ben Khalaf ben Yaala ben Homaid ben Chaghb ben Bichr ben Harb ben Djanb ben Saad ben Kahtan ben Amir. J'aurais dû m'arrêter à Kahtan, comme le font tous les Kahtanis qui prétendent appartenir à la tribu la plus noble d'Arabie, et probablement celle qui est à l'origine de tout ce qui est arabe. Mais comme certains Kahtanis ajoutent souvent Amir pour ancêtre originel, l'Adam de la tribu en quelque sorte, je l'ai fait aussi, préférant descendre d'Adam que de Kahtan ! […] […] Mais je suis là, parmi vous, à Paris, à l'aube de l'an 2000 ! Quelle aventure pour moi qui ne connais pas même ma date de naissance ! Sans doute ne me voyez-vous pas, car je m'efforce d'être comme vous, gris, indifférent, pourtant je porte en moi mon village comme un feu inépuisable. À Paris, les premiers temps, je disais bonjour à tout le monde, même dans le métro, et lorsque j'ai vu que personne ne me répondait, j'ai continué à le dire mais à voix si basse qu'on ne pouvait plus m'entendre. Je voulais tout partager, comme dans ce train qui m'emmena un jour à Besançon. J'avais acheté par erreur un sandwich au jambon pensant qu'il s'agissait d'un gâteau. J'ai proposé à mon voisin de compartiment de partager ce « gâteau ». II m'a demandé si j'étais musulman, j'ai répondu oui. Alors il m'a expliqué que c'était du pain et du porc, tout en continuant à manger, sans même m'en proposer, des dattes auxquelles je rêvais de goûter !
A la fin de mes études à Riad, je pouvais poursuivre mon cursus universitaire aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne ou en France. Et c'est le pays d'Éluard, d'Aragon et de Prévert que l'ai choisi. Ceci explique sans doute que j'aie écrit mon village en français et que je sois ainsi le premier écrivain de tous les pays de la Péninsule arabique à écrire dans cette langue, ce qui, j'en suis sûr, séduira certains Français et déplaira à certains Arabes !
Écrire pour moi signifie à la fois partager et réinventer le monde. C'est à Paris que j'ai pu voir mon pays et mon village, car là-bas je n'étais qu'un poète. Paris m'a permis d'être un homme à part entière, ce qui est le sens réel de la modernité, tandis que la tribu me considère encore aujourd'hui comme une petite cellule dans son grand corps, une cellule noire aux yeux de certains membres de la tribu, parce que j'ai épousé une étrangère, en l'occurrence une Française. Je les comprends et j'écris pour leur dire que d'autres me comprennent, nous comprennent beaucoup plus que nous-mêmes." Lorsque j’avais assisté à l’interview qu’il donnait à l’occasion de la sortie de son livre, j’avais été frappée par la grande « gentillesse » qui émanait de lui… et il n’y a rien de mièvre dans cette expression… il m’avait paru d’une grande humanité… et j’ai couru acheter son livre… Je l’ai tant aimé, lu et relu, que maintenant les pages en sont un peu froissées… mais je lui ai donné une jaquette en cuir de Cordoue… il est là… posé sur ma table de nuit.
Lisez- le, il enchantera vos insomnies…