SOIR DE PARIS
(Princesse de la nuit)
(affiche publiée avec l'aimable autorisation du site)
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Elle en vaporise un peu sur la doublure de sa fourrure, promesse d’un sillage voluptueux, puis passe élégamment son bras ganté de satin bleu dans la manche de son manteau, se regarde de face, de biais, dans la psychée, mouille de salive le bout d’un doigt qui vient lisser son sourcil fourni et, apparemment satisfaite, se dirige vers la porte…
J’ai déjà disparu lorsqu’elle en franchit le seuil pour rejoindre mon père au salon, mais j’entends l’habituel « tu es magnifique !» qu’il prononce en éteignant la cigarette qui a « meublé » son attente…
Ils disparaissent vers des lieux que j’imagine extraordinaires… Quel roi, quel personnage fabuleux va-t-elle rencontrer pour s’être parée comme une princesse ?
Dodo est passée discrètement dans les chambres et je me suis appliquée, les yeux fermés, à respirer régulièrement et à pousser des petits soupirs innocents pour tromper sa vigilance… La maison est maintenant complètement silencieuse, si ce n’est le ronflement discret de notre nannie qui s’est mollement abandonnée dans le sofa du salon… Dans la pénombre du couloir, je n’ai aucun mal à rejoindre l’île aux trésors… la chambre de maman !
Son parfum y flotte encore… Les volets sont mi-clos et laisse passer un rayon de lune.. Alors j’entame une autre danse rituelle, les bras levés dans un geste que je veux gracieux, je tourne et virevolte devant le miroir… je suis à mon tour princesse de la nuit…
Les artifices sont encore sur la « coiffeuse »… tentateurs… Je prends mon temps… pour que le plaisir soit intense… Je m’imprègne d’abord de tous ces détails que l’interdiction d’entrer dans la chambre de maman me borne à imaginer… Le couvre-lit de satin broché, vert céladon, aux entrelacs dorés, la tapisserie orientale sur le mur, au-dessus du lit, scène de harem aux couleurs exotiques, la grande armoire à glace aux mille et un trésors comme une caverne d’Ali-Baba, les descentes de lit où j’enfonce mes petits pieds déjà froids dans la laine soyeuse… sur la table de nuit, du côté où ELLE dort, les boucles d’oreilles qui n’ont pas été élues ce soir…
J’en accroche une à mon oreille tout en ouvrant L’ARMOIRE, soulève délicatement le couvercle d’un carton plat d’où dépasse un rucher de dentelle… Avec délice, je me glisse dans la nuisette parme qui tombe à mes chevilles… puis me dirige vers la coiffeuse : la houpette rose est encore plus douce et légère que je l’avais imaginée… Comme je l’ai vue faire, j’en tapotte le front, le nez, le menton, les joues puis je prends le baton de "Rouge Baiser" et devant le miroir, m’en tartine généreusement la bouche, tout en frottant l’une sur l’autre mes lèvres, dans un geste mille fois répété…
Plus difficilement je trace aux dessus du sourcil un large sillon brun d’un moins heureux effet à mon goût…
Il faut peaufiner les détails, je prends sur la table de nuit un long collier de pierres bleues, je fouille maintenant avec frénésie l’armoire d’Ali Baba, à la recherche d’accessoires… des gants, un chapeau à voilette, une paire de chaussures rouges enveloppées dans du papier de soie, et cette fourrure si douce sur mes épaules, même si le regard de verre du renard lui donne un air sournois…
L’image que me renvoit la psychée me transporte néanmoins,… juchée sur mes talons aiguilles, l’étole majestueusement drappée, je marche religieusement tout en me jetant des regards de biais pour juger de l’effet….
Oh, il manque encore quelque chose … je saisis sur la coiffeuse la boîte bleue avec la tour Eiffel en argent, j’ouvre le bouchon précautionneusement et, comme maman, j’incline le flacon pour recueillir l’élixir de beauté. Un peu capricieusement celui-ci coule sans prévenir le long du bras, des jambes, et fait une drôle de flaque odorante à mes pieds…
Un reste de lucidité m’angoisse très fugitivement, mais le parfum m’enivre, je suis "la Belle au Bois Dormant", "Blanche-Neige", "la fée Clochette" et "Cendrillon" le soir du bal, j’évolue avec grâce devant la glace, fais une révérence au prince imaginaire de mes nuits de contes de fées… et m’écroule avec langueur sur la moquette profonde, saisie soudain par un sommeil qui frappe sans prévenir comme tous les sommeils de l’innocence…
Entre veille et sommeil, une dernière pensée me traverse l'esprit… Demain je raconterai mon rêve à maman…
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