FUNMILAYO ou « Le Don des Dieux »
Première partie : le temps des larmes et de la pluie
"Funmilayo" ( aquarelle Martine Réau-Gensollen)
Nichée au creux du grand baobab, Mouremy regarde tomber la pluie. Floc, floc, l’eau tombe à ses pieds dans le miroir où se reflète, très haut, au-dessus d’elle, le ciel chargé de lourds nuages gris. Floc, floc, la petite musique de l’eau voudrait entrer dans sa tête et l’entraîner dans l’un de ces rythmes fous qui serait né, sans effort, n’importe quel autre jour qu’aujourd’hui. Mais le tam-tam de son coeur couvre toutes ces musiques à naître et le sang cogne à ses oreilles sur un rythme cruel.
Floc, floc, les gouttes d’eau tombent jusqu’au fond de son âme aussi sombre que ce jour qui s’annonce sans soleil. Mouremy ferme les yeux et tente de faire revenir le calme dans son esprit. De ses deux mains appuyées sur ses paupières, elle essaie d’effacer les images dont elle redoute déjà de devoir vivre avec. Moumi, ma mère…. Elle sent la pluie noyer son âme et l’eau déborder de ses yeux. Moumi… Elle a pourtant prié les Dieux et invoqué les Ancêtres :
- Mojuba Olofin, Maître du Palais, Mojuba Olorun, Maître du ciel, Mojuba Olodumare, Maître de la vaste étendue de l’Univers, Ô Dieu des Dieux , je suis ton enfant et je te vénère….
- Baba de Mojuba, Yéyé de Mojuba, ô père de nos père, ô mère de nos mères vous avez déjà rappelé mon père, laissez moi encore un peu ma mère. Je n’ai que 10 ans, elle a encore tant à m’apprendre.
Délicatement Mouremy dispose les offrandes sur le shrine qu’elle a préparé au creux du Baobab :
- au nom d’Ochun, toi ma protectrice, toi dont la prière jointe à la mienne parviendra directement aux oreilles du grand Olodumare, toi la plus jeune de toutes les déesses, nos mères, porte ma voix au Père de nos pères, qu’il exauce ma prière,
- voici le miel, le sucre, et l’alcool de palme, voici les offrandes pour te contenter…. J’attends que tu m’apportes le réconfort après tant de jours et de nuits de veille…. S’il te plaît donne le souffle de vie à ma mère, ne l’abandonne pas.
Mouremy laisse le vent emporter sa prière, laisse la pluie mouiller son visage et effacer la fatigue de ses nuits sans sommeil et regarde au loin le village d’Alasia qui s’éveille…Le ciel s’éclaire à l’Est, Mouremy se lève et rejoint le sentier qui descend au village. Elle a si souvent mis ses pas dans les pas des ancêtres qu’elle pourrait, les yeux fermés, se diriger sans hésitation du centre du village à la forêt sacrée d’Oshogbo et de la forêt à la case qu’elle occupe avec sa mère près de la rivière Oshun. Il ne lui faut que quelques minutes pour retrouver le foyer encore chaud qu’elle a quitté alors que la nuit durait encore. Dans la case tout est calme, elle s’approche de la couche où repose sa Mère et pose doucement sa main fraîche sur son front. Sa peau est tiède et ses traits sont détendus… elle semble assoupie…. Mouremy reste assise sur le sol, tout près d’elle, lui prend la main, ferme les yeux et trouve enfin le sommeil qui lui a échappé depuis si longtemps….
C’est peut-être le froid qui la réveille. Dehors il pleut toujours. Le feu dans l’âtre s’est éteint, mais surtout la main qu’elle tient encore dans la sienne est glacée… Mouremy comprend dans l’instant qu’elle est seule maintenant. Un long cri de désespoir sort de son cœur et informe le village tout entier que l’esprit de Yéyé Moumi s’est envolé, que l’orisha Elemi, propriétaire du soufle, a repris son offrande, que Mouremy n’a plus ni père, ni mère…
La pluie peut continuer de tomber, les cieux peuvent pleurer aussi toutes les larmes de l’Univers, la tristesse de Mouremy est un puits sans fond que toute cette eau de pluie ne parviendra jamais à faire déborder. Elle va revêtir les habits de deuil... les femmes du village vont venir parer Yéyé Moumi pour son dernier voyage, le conseil des anciens va se réunir pour décider du sort de Mouremy… mais qu’importe maintenant ce qu’il adviendra d’elle…. Mouremy s’abandonne à sa peine….
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"Dieu sait que nous n'avons jamais à rougir de nos larmes, car elles sont comme une pluie sur la poussière aveuglante de la terre qui recouvre nos coeurs endurcis."
Charles Dickens "les grandes espérances"
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