Le 23ème jour : Lundi 8 mai – Belorado/San Juan de Ortega (23 km) | |
Départ dans le matin triste et pluvieux… Il est 8 h 30 et depuis plus d’une heure déjà j’entends dans la rue, en contrebas de ma chambre, les pèlerins passer au rythme de leur bâton résonnant sur le bitume… Je ne me presse pas, je veux prendre le temps…
Je sors du village de Belorado dont je n’aurai pas le « cuno » puisqu’il n’y avait personne au refuge hier soir pour l’apposer sur ma credential. Je franchis le Rio Tiron sur un pont de bois qui double le pont de pierre qui enjambe la rivière… La pluie est de retour et je retrouve la boue des chemins, le sol glissant, les pierres visqueuses et le pas mal assuré. Je n’ai pas déjeûné et je presse le pas pour rejoindre assez vite le premier village situé à 6 km : Tosantos.
Il n’y a qu’un seul bar, à 100 mètres du chemin, curieusement c’est un bar portugais. Je m’y fais servir 2 œufs au plat et un café noir, un régal qui me met du chaud au cœur et me permet de repartir avec entrain.
La pluie ne me gêne pas, l’air est frais, mais mes vêtements ont eu le temps de sécher dans la chambre chauffée et je me sens confortable, je n’ai pas froid. Quelques kilomètres plus loin à Espinosa del Camino un groupe d’Espagnols assez âgés (des retraités ?) et très chics, me double… ils n’ont pas de sacs, ils sentent bon et ont le pas alerte… ils m’encouragent gentiment…
Je m’arrête quelques instants auprès des ruines du Monastère de San Felix (XIIIème siècle). J’ai toujours un sentiment étrange en présence des vieilles pierres, je ne peux m’empêcher d’imaginer le temps où ces murs protégeaient des vies… Je regarde alentour ce paysage que d’autres yeux ont vu et qui n’a sans doute que peu changé. J’aimerai flâner un peu plus, peut-être prendre le temps de faire une aquarelle, mais le temps ne s’y prête pas, je poursuis donc vers Villafranca Montes de Oca où j’entre en franchissant un pont de pierre sur le Rio Oca. Face à moi l’auberge « El Pajaro » ("l’oiseau"), dernier point de ravitaillement avant San Juan de Ortega. J’y entre et trouve là quelques pèlerins dont Béa, d’Oloron Ste Marie, qui semble un peu fatiguée, peut-être un peu déprimée aussi… J’ai fait une douzaine de km depuis le matin, je décide de faire une petite pause. Le patron du bar, très sympathique, nous dit qu’il a fait lui-même le chemin il y a 7 ans, il nous encourage avec beaucoup d’enthousiasme, finalement nous repartons ensemble pour la deuxième partie de l’étape.
Dès la sortie du village la route monte très raide jusqu’à 1100 mètres d’altitude (plus haut que le col de Roncevaux). Nous atteignons « Los Montes de Oca », réputés pour abriter autrefois, les loups et les brigands de grands chemins qui attendaient les pèlerins pour les détrousser.
D’abord forêts de chênes verts, puis landes de bruyères en fleurs et conifères, ces monts réputés pour être sauvages sont merveilleusement beaux. La terre y est rouge, la bruyère rose parme se détache sur le vert des taillis dans la lande et en sous-bois, l’endroit est magnifique et se gagne… La pente est raide !
Béa et moi parlons beaucoup… et le temps passe vite. J’ai marché pendant trois semaines la plupart du temps en solitaire… et tout d’un coup la parole coule à flot… J’ai besoin de dire le plaisir à marcher, le plaisir tous les matins renouvelé de sentir l’herbe fraîche et ces parfums de nature que le chemin nous offre. Ma compagne de marche a elle aussi besoin de parler… de se confier, de demander conseil. Nous ne nous connaissions pas le matin même et nous sommes là comme deux amies de toujours. C’est « l’effet camino »…
Vers 17 heures nous avons l’orage habituel… mais cette fois-ci il s’agit de grêle et l’air s’est tout de suite beaucoup rafraîchi. Nous apercevons le clocher du Monastère et nous nous mettons à courir. Béa plus rapide disparaît à mes yeux. La grêle s’abat sur moi et je n’y vois plus rien. Je manque de m’étaler de tout mon long en butant sur un couple assis au milieu du chemin. Deux jeunes gens, très beaux, attendent là que la grêle s’arrête. Elle a de longs cheveux blonds, une jupe gitane qui lui colle au corps, lui porte un catogan et bizarrement il est pieds nus… Elle tient les pieds de son compagnon dans ses mains et tente de le réchauffer, ils ont l’air sortis d’un autre monde et je crois bien qu’ils ne me voient pas tant ils ne sont occupés que d’eux-mêmes… Et puis je sens aussi qu’autre chose de très fort les relie, elle le dévore des yeux, on dirait même une sorte de dévotion… Lui … se laisse aimer. J’apprendrai plus tard qu’il est danseur étoile, qu’il a subi une opération des jambes très grave, et qu’ il s’est promis, s’il pouvait à nouveau danser, d’aller à St Jacques de Compostelle pieds nus…
Je poursuis mon chemin vers le monastère où j’arrive trempée et grelottante. L’endroit est quasi désertique et impressionnant… une église, un monastère, un petit bar/restaurant…
Les dortoirs sont immenses… et froids… et sales. Les douches sont glissantes, froides, que dis-je : glaciales, et … boueuses. L’eau coule marron… J’oserai quand même prendre une douche glacée et je me sentirai après tout à fait revigorée…
A 19 heures j’assiste à la messe des pèlerins dans une église superbe et glaciale où une hirondelle nous fera la plus belle oraison du Camino. Je ressors de là frigorifiée et j’apprécie donc infiniment le repas chaud servi dans la petite auberge attenante au monastère où la chaleur de l’ambiance contraste avec la froidure du dehors.
J’ai ce soir là beaucoup de mal à m’endormir. Le dortoir ressemble à une caserne, il est sinistre et froid et comble de malheur le refuge est bondé et tous les ronfleurs de la terre s’y sont donné rendez-vous… Ronflements intenses à la limite du supportable ! Je m’enfouis dans mon duvet … demain il fera jour !