9ème jour - Lundi 24 Avril :
|
La même Marité nous supplie d’accepter qu’elle se joigne à nous pour la traversée, ce que nous acceptons (d’autant plus que ça nous rassure aussi !) Sa compagne de route, Béa, nous rejoindra à cheval sur le chemin car elle doit attendre sur place le garagiste délégué par son assurance pour la prise en charge de sa voiture qui vient de rendre l’âme…
Nous partons à 9 heures, il y a 22 km de route à faire et un fort dénivellé (1400 m). Un ancien de Saint Jean rencontré hier matin sur le chemin nous a dit qu’il fallait compter 6 heures, mais que lui-même et ses copains, lorsqu’ils avaient 20 ans et qu’ils fréquentaient de jolies jupons de l’autre côté de la frontière, ne mettaient que 2 heures pour faire le même trajet au pas de course, sans sac à dos bien sûr… et sans doute portés par « les ailes du désir »…
Donc, en comptant les arrêts, nous devrions arriver entre 16 h et 17 h. La route est large, le ciel est bleu, le soleil est au rendez-vous ce matin. Nous marchons d’un bon pas… Nous avons fait environ 5 km lorsque Béa nous rejoint à cheval.
| nous faisons notre première halte à Biakoré (1095 m d’altitude) près de la Vierge d’Orisson. |
Le vent souffle fort et nous nous protégeons tant bien que mal derrière les rochers pour grapiller quelques abricots secs et quelques pruneaux (qui ne tarderont pas à faire leur effet !). Prise d’une impulsion soudaine je grimpe en haut du rocher qui domine la vallée en contrebas… et je crie dans un souffle rageur qui me vide les poumons et laisse échapper sans doute ma peur mais me soulage, infiniment ! Je reprends la route avec Christiane, nous laissons nos « amies » d’un jour prendre les devants car le cheval les a délestées de leurs charges et elles avancent donc plus vite que nous…
Nous ne sommes plus protégées par le flanc de la montagne et marchons à découvert. La terre à peine sortie de l’hiver présente une spongieuse moquette boueuse et verte, rase et encore recouverte de neige par endroits, surtout à l’ombre. Le vent souffle maintenant très fort, un vent à décorner les vaches ! Ca monte raide !
Nous arrivons à la croix Thibault où nous attendent Marité, Béa et la Jument Gladys. Nous quittons enfin la route goudronnée pour entrer sur un chemin herbeux, assez étroit, mais surtout balayé par un vent fou qui rend la jument folle d’inquiétude…
Le spectacle est saisissant… époustouflant… magnifique ! Du flanc droit de la montagne sortent des arbres dénudés, gris et courbés par des rafales de vent qui n’ont jamais trouvé de cesse depuis qu’ils sont sortis de terre. Cela leur donne une silhouette dantesque, courbée vers le chemin dans une tentative désespérée d’atteindre nos pas pour nous barrer la route.
Nous sommes saoûles de vent, ballotées de droite et de gauche, poussées puis freinées par des bourrasques incohérentes, tantôt attirées vers le vide puis repoussées avec brusquerie vers le rocher… J’ai du mal à penser et n’arrive plus à raisonner. Je marche, tête baissée, en tenant mon chapeau de cuir pour ne pas qu’il s’envole. J’ai l’onglée… je tire sur mes manches pour les rallonger et y protéger mes doigts. Le vent est infernal.
De gros nuages noirs arrivent et je crains un moment que la pluie ne s’abatte sur nous, quelques gouttes le laissent croire et Christiane et Marité s’arrêtent pour mettre leurs ponchos. Mais je préfère continuer sans être entravée… Nous dépassons la Borne Frontière n° 198 à 1300 mètres d’altitude, puis la n° 199 à 1344 m. Nous franchissons le Col d’Intzondorre à 1375 mètres et là les nuages noirs s’enfuient aussi vite qu’ils sont apparus, et un rayon de soleil perce l’épaisse couche d’encre qui nous poursuit depuis la Croix Thibaut. Nous arrivons enfin au Col de Lepoeder, à 1430 mètres… Nous savons que maintenant le chemin redescend…
Là nous commettons une erreur… Au lieu de suivre le chemin en prenant sur la droite une petite route qui descend doucement vers le Col de Roncevaux/Ibaneta à 1057 mètres, nous suivons les traces de sabots de Gladys qui se perdent dans la forêt très très pentue, suivant un chemin de terre abrupt qui serpente à travers les hêtres…
La descente est vertigineuse, diabolique… 3 km d’enfer à pic pour nos pieds endoloris.
| mais autour de nous s’élancent les fûts de magnifiques arbres dénudés sur un tapis de feuilles mortes, de mousses vertes, et de bois pourris par l’hiver. |
C’est en passant sous le tronc d’un arbre déraciné que j’aperçois les premières traces… de loup !? (il y en aurait environ 2000 en Espagne et quelques meutes dans les Pyrénées)… Tout au long de la descente, je remarque ces traces bien visibles dans les endroits où la terre est boueuse…
| Je marche depuis 9 h ce matin… il est déjà presque 18 heures et mon pas est plus lourd et moins sûr… Je me sens très fatiguée et j’ai hâte d’arriver à Roncevaux (Roncesvalles). J’aperçois les toits sombres de la Collégiale… Encore quelques centaines de mètres et après avoir passé un dernier gué je retrouve Christiane, Marité et Béa dans un état de stress aigu dont les raisons m’échappent tout d’abord, car elle n’arrive pas à parler… Je reste avec elle le temps qu’elle retrouve son calme, elle m’explique alors que son cheval ne peut être hébergé et qu’aucune nourriture n’est disponible pour lui. |
Puis un homme vient nous rejoindre et nous explique que la jument peut rester là dans son champ, qu’elle ne risque rien, qu’il y a un auvent à 50 m où elle peut s’abriter en cas de pluie, qu’il lui portera du fourrage et qu’elle n’a pas à s’inquiéter, mais qu’elle reste responsable de son cheval et qu’elle devra repartir tôt dès le lendemain matin car ce n’est qu’une solution pour la nuit…
Rassurées, ma sœur et moi nous dirigeons vers la Collégiale, austère et grise, pas vraiment accueillante dans le soir qui tombe… Un Chanoine nous accueille à l’entrée et nous dirige militairement vers une pièce où nous sommes reçues, une par une, par un autre Chanoine tout droit sorti du moyen-âge, l’air aussi sévère que les murs gris qui nous entourent, et qui « exige » notre crédential. Il me tend une feuille, où un texte écrit en plusieurs langues et en Français nous explique le règlement strict qui est appliqué dans l’établissement. Il tamponne ma crédential et me confie à un autre Chanoine qui nous attribue, 4 étages plus haut et des km de couloirs et d’escaliers plus loin, un lit dans un immense dortoir. Enfin, plutôt une couchette spartiate superposée. Lâchement, je choisis celle du bas car je me sens incapable de monter un mètre de plus… J’ai le dos en bouillie, les pieds ? Une horreur ! Et les jambes : en morceaux…
Nous avons droit à une douche froide (la Collégiale est en travaux de réfection…), mais « miracle » on se sent tellement mieux après que nous acceptons (nous y sommes fermement « encouragées » par le Chanoine de service….) d’assister à la messe traditionnelle des Pèlerins qui a lieu à la Chapelle Royale…
Celle-ci, construite vers 1200 est chauffée… et je somnole un peu lorsque les Chanoines de l’ordre des Augustins (un peu intégristes tout de même), nous appellent en Espagnol, en Français, en Anglais, en Allemand, en Italien et en Basque !, nous les pèlerins, au milieu de la nef, pour recevoir la bénédiction dite spécialement pour nous, en un texte vieux de plus de 1000 ans ! J’avoue être impressionnée par la solennité de l’instant et le décorum de cette chapelle où une vierge aux larmes de diamants (de vrais diamants dit-on), suspendue au-dessus de nos têtes, nous regarde avec bienveillance…
L’auberge qui jouxte la Real Colegiata est pleine à craquer… l’ambiance y est chaleureuse et le verbe haut, le vino tinto qui rosit les verres y est pour quelque chose… La soupe de garbanzos (pois chiches) la truite sauvage et les patatas (légumes qui reviendra souvent dans nos repas…) finiront de nous achever… Nous nous écroulons dans nos couchettes, trop fatiguées pour nous plaindre, dans ce dortoir mixte archi-plein, des ronfleurs impénitents et de l’odeur des chaussettes !