Le 40ème jour : RIEGO de AMBROS / PONFERRADA/CACABELOS (30 km) | |
J’ai dormi comme dans un rêve… aucun bruit n’est venu perturber mon sommeil, mais l’habitude faisant je me réveille vers 6 heures. Exceptionnellement, je paresse au lit car bien que la senora du Bar Santiago ait accepté d ‘ouvrir « tôt » pour moi, je n’ai rendez-vous qu’à 9 h 00 pour le petit-déjeuner (d’habitude elle ouvre à 10 h). Et puisque voilà plus d’un mois que je me lève aux aurores dans l’agitation fébrile des gîtes de pèlerins, je sais goûter aujourd’hui la rareté de l’instant… je flemmarde comme on dit dans le sud… et j’aime ça !
A 8 h 30 mon sac est prêt, je ferme la porte qui me retenait prisonnière hier et traverse le village encore endormi. Je ne vois pas l’ombre d’un chat ! J’arrive au bar Santiago, la patronne me salue avec chaleur. Je suis en effet sa première cliente ! Je déjeune tranquillement en dégustant quelques madeleines qui n’ont pas le goût des fameuses « mantecadas » d’Astorga…
Enfin je prends la route vers 10 h en oubliant de rendre les clefs de ma chambre !
Il bruine, je descends une pente assez raide sur un chemin raviné et pierreux dont les lites d’ardoises sont devenues glissantes. Ce sentier étroit me conduit vers une chataigneraie majestueuse. Je tombe en arrêt devant un chataignier dont l’ampleur du tronc me laisse rêveuse. Je tente d’en prendre les mesures et compte 16 pas normaux… j’estime sa circonférence entre 12 et 15 mètres… incroyable ! D’ailleurs tous les autres arbres qui composent cette chataigneraie sont imposants et superbes.
Un peu plus bas je croise un pèlerin qui « revient » de Compostelle. Il est Espagnol et me demande s’il y a de quoi se ravitailler au village. Justement je lui donne l’adresse du Bar Santiago et lui demande s’il peut remettre les clefs que j’ai oublié de rendre à la propriétaire… Il les prend et me promet de les lui rendre…
Je descends vers Molinasecca, que j’aperçois par intermittence, par un sentier étroit bordé de cistes. Leur odeur d’ambre embaume l’air et leur parfum envoutant flotte sur le chemin. Le temps, lui, reste gris et bruineux.
J’entre dans Molinasecca par le pont des pèlerins, roman à l’origine, sur le rio Meruelo et traverse le village désert. Je passe devant l’immense refuge en grand nettoyage, tous les pèlerins ont déjà quitté les lieux. J’entre pour voir si Dominique m’a laissé un message, elle m’avait dit qu’elle le ferait parfois, et je tombe sur les deux hospitaleras anglaises de Rabanal. Nous nous embrassons et nous quittons aussitôt, elles sont très pressées… Vérification faite, je n’ai pas de message, je poursuis donc ma route vers Ponferrada. Sitôt sortie de Molinasecca, le soleil pointe le bout de son nez.
Lorsque j’arrive au joli petit village de Campos, le soleil tape dur. Je m’arrête un instant près de la Fontaine Romaine, récemment restaurée. L’eau en est bien fraîche et au bas de l’escalier qui mène à la source, on entre comme dans une grotte dont la fraîcheur nous enveloppe tout d’un coup. Je remonte à la lumière, m’assieds sur un banc… mais les petits tilleuls que l’on a planté depuis peu ne donne pas encore beaucoup d’ombre… Je mange une orange, bois une grande gorgée d’eau et je repars.
J’arrive à Ponferrada vers 14 h et bien que je demande mon chemin à plusieurs personnes, je n’arrive pas à trouver le refuge. Il y a beaucoup de travaux d’aménagement et je finis par me perdre …. En fait je n’ai pas envie de m’arrêter ici, la ville ne me plaît pas du tout. Grise, triste, les remparts en sont impressionnants et me donnent le bourdon. Je passe devant une cabine téléphonique et j’en profite pour appeler Steph au bureau… cela fait bien 4 ou 5 jours que je n’ai pu donner de mes nouvelles… Miracle, il répond ! Ca me fait un bien fou. Mon moral remonte en flèche et je m’octroie une bière bien fraîche à la terrasse d’un café. J’y rencontre un couple de Hollandais qui remarquant ma coquille me questionnent sur le chemin. Je leur réponds avec beaucoup d’enthousiasme et notre conversation devient vite animée. Ils font eux-mêmes le chemin d’une autre manière… Ils visitent, en voiture et en touristes, le patrimoine architectural et culturel du Camino Santiago. Ils se disent émerveillés par toutes ces richesses et cette beauté partout présente, même dans les tous petits villages. Je leur dis qu’en effet c’est un regret pour moi de ne pas toujours prendre le temps de visiter, églises, musées ou monuments remarquables, simplement parce qu’ils ne se trouvent pas exactement sur le chemin. Je me dis par contre que je pourrais revenir plus tard, si l’envie m’en prend, visiter certains endroits où je suis passée trop vite…
Il me reste encore à traverser la ville. Je hais les villes. Mais j’en profite pour dénicher un distributeur automatique pour renflouer ma bourse. Je traverse donc la ville et je subis les regards que l’on me lance avec mépris… Drôle d’impression de devenir aux yeux du plus grand nombre, une S.D.F. méprisable ! Je franchis le pont sur le rio Sil et me retourne : l’image est belle, le château ou plutôt la citadelle des templiers domine la ville, mais je quitte Ponferrada sans regrets, je préfère m’arrêter un peu plus loin.
Il fait maintenant très très chaud. A la sortie de Ponferrada je contourne de hauts terrils noirs, résidus de la Centrale Thermique de ENDESA, énormes et insolites montagnes noires qui se détachent sur le bleu du ciel. Je traverse Columbriano, et à l’ombre d’une petite église je retrouve Jean-Claude et Marie-Jo, Français de l’Ariège que je rencontre régulièrement depuis 2 semaines. Marie-Jo a jeté ses chaussures de marche qui la blessaient et a acheté à Ponferrada une paire de tennis pour marcher… Elle revit me dit-elle…
Je continue en pensant d’abord trouver de quoi loger chez l’habitant à Fuentes Nuevas. Mais je trouve un village désert. Puis j’arrive à Camponaraya, long village-rue, ou je pense trouver un refuge. Mais lorsque j’y arrive je dois déchanter, s’il s’y trouve bien une chapelle de la Solitude, « on » me dit aussi qu’il n’y a plus de gîte et que le plus proche se trouve à Cacabelos à 6 km de là ! Il me faut continuer encore…
La traversée à travers les vignes qui produisent le fameux « berciano » est magnifique, mais le soir tombe, et la fatigue se fait maintenant bien sentir. Je vois le soleil décliner à l’horizon et je ne vois toujours pas les premières maisons de Cacabelos. Une énorme fatigue me prend d’un coup, je me demande si je vais pouvoir arriver avant la nuit. Sans doute pas. Lorsque j’arrive à Cacabelos, je demande mon chemin. On m’indique que le refuge se trouve à l’autre bout du village… encore deux kilomètres de plus… deux kilomètres de trop, j’en pleurerais presque. Lorsque j’y arrive enfin, je ne tiens plus debout et manque de m’écrouler sur le seuil de cette ancienne maison des instituteurs, transformée en refuge.
Et puis là le miracle du chemin joue encore… Je suis accueillie à bras ouverts par un petit groupe de pèlerins arrivés avant moi, 3 françaises, 1 français et 1 anglais, qui me tend d’emblée un verre de vin rouge. Je prends le verre et le bois d’un coup et je sens disparaître peu à peu la tension qui s’était accumulée entre mes épaules durant les derniers kilomètres… Nous ne sommes donc que 6 dans ce petit refuge. Et je fais connaissance avec mes colocataires d’une nuit. Sophie, une jeune française, a un problème financier. Elle voyage avec des travellers chèques qu’elle n’a pas réussi à se faire payer. Elle compte aller demain à la banque de Villafranca, mais n’a plus d’argent pour continuer… Je lui propose de lui avancer du liquide si besoin, elle me remboursera plus tard à son retour… Nous décidons de faire route ensemble demain, au moins jusqu’à Villafranca del Bierzo. L’Anglais est très heureux de pouvoir enfin parler avec quelqu’un qui parle anglais. Il me raconte son histoire. Cela fait une semaine qu’il est bloqué au refuge pour cause de soins. Il a été gravement blessé à un pied par un piège posé sur le chemin. Il a marché 14 km le pied en sang. Lorsqu’il est arrivé au refuge un médecin est venu le soigner et revient tous les jours depuis une semaine pour lui changer le pansement. Il n’a pas voulu aller à l’hopital, pensant que peut-être il pourrait repartir après quelques jours de soins. Malheureusement son pèlerinage s’arrête là. Il prend le bus lundi prochain pour Santiago. De là il repartira vers l’Angleterre, mais se promet de revenir dans quelques mois à Cacabelos et de reprendre le chemin là où il l’a involontairement interrompu, pour terminer quand même son pèlerinage… Tout en me racontant son histoire, il me sert un autre verre, puis un autre encore, finalement nous finirons la bouteille… Nous partageons nos provisions et improvisons un repas dans une ambiance très joyeuse (je crois que le vin y est pour quelque chose…).
J’ai parcouru aujourd’hui plus de 30 km… le "berciano" aidant, je n’ai aucune peine à m’endormir…